"Le numérique contre la démocratie" / Quinzaines / Nov. 20

2020

« Éric Sadin douche l’espoir d’une sorte d’émancipation politique par les réseaux, saccage l’excitation fausse d’une "démocratie du clic" et casse l’illusion lyrique d’un système personnalisé, adapté aux ambitions délirantes du moi de chacun. C’est qu’il ne s’agit ni de politique, ni de démocratie, mais bien plutôt d’un épanchement parfois nauséeux de l’espace privé dans l’espace public. Les entreprises du numérique déploient sur cette illusion un "capitalisme des affects" parfaitement assumé qui capte les émotions et rentabilise les indignations ou les cycles d’autosatisfaction. (...)

Le service sur mesure des réseaux géants construit les séparatismes en faisant descendre le concept même de démocratie, de l’expression collective d’un choix de société, vers l’atome du cri individuel érigé en pseudo-vote. Le réseau fait proliférer, le réseau relie, mais il ne relie que des intentions isolées, des colères, de ressentiments qui tournent en boucle sur leur propre désarroi, sapant l’idée même de pétition sur un terrain devenu ingouvernable, que Sadin décrit comme un monde à la limite de l’implosion et de l’embrasement. »

Luc Vigier, "Le numérique contre la démocratie", Quinzaines, novembre 2020.