Livres Hebdo Avant-critique / "L'Ère de l'individu tyran" / Oct. 20

2020

"Le roi, c'est moi", Livres Hebdo, octobre 2020, avant-critique de L'Ère de l'individu tyran. La fin d'un monde commun, Grasset.

« Récemment promu parmi les "icônes de la technocritique" dans l’hebdomadaire Marianne, le philosophe Éric Sadin alerte depuis vingt ans, en marge du monde académique, sur les dangers de l’économie numérique et dénonce la griserie aveuglée devant des technologies qui aliènent en affirmant rendre plus autonomes. Après avoir déjà largement rendu compte de ces paradoxes, illusions et désillusions dans plusieurs essais parus aux éditions de L’Échappée - La Silicolonisation du monde. L’irréistible expansion du libéralisme numérique (2016), L’Intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle : anatomie d’un antihumanisme radical (2018) - , il entreprend avec L’Ère de l’individu tyran de mesurer l’impact de la technologie numérique "sur notre psychologie individuelle et collective" et de montrer combien le renforcement de l’individualisme libéral, accéléré par l’arrivée du téléphone portable et d’Internet, menace désormais directement nos aspirations et nos capacités à cohabiter dans un monde commun. "Car ce qui s’est formé au cours des années 2010 - qui à la fois modifie depart en part la représentation de nous-mêmes autant que notre régime historique d’existence en commun -, c’est l’avènement d’une nouvelle condition de l’individu contemporain". 

Il commence donc par retracer la généalogie de ce "nouvel ethos individuel " qui a conduit à une "monadisation à grande échelle du monde". Voyant dans la trottinette électrique et le selfie, les sym boles d’un "déni implicite d’autrui", de véritables marqueurs de civilisation, il dresse, s’appuyant entre autres nombreuses références sur la pensée poli tique d’Arendt, le portrait accablé d’une société atomisée, formée de "subjectivités revanchardes", d’individus enfermés dans le chacun pour soi que la technologie conforte dans un dangereux fantasme d’autosuffisance.

Toutefois, s’il douche tout enthousiasme vis-à-vis de « la prétendue “démocratie Internet” » des réseaux sociaux, s’il fustige la "passion de l’expressivité" engendrée par Facebook ou Twitter ou dénonce "l’inflation opiniologique" suscitée par la crise sociale et sanitaire, bref si cet essai est porté par sa fougue alarmiste, il plaide avec la même passion en faveur d’un "autre exercice de la parole". En appelle à une "politique du témoignage", à la collecte d’une parole qui remonte des lieux de la société où le monde commun est précisément le plus mis à l’épreuve, écoles, hôpitaux, banlieues..., invitant l’individu citoyen à trouver de nouveaux modes pour concilier verbe et action, in real life.

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