Libération, Frédérique Roussel : Humanité augmentée, le monde nouveau / 9 juin 2013.
Libération, Frédérique Roussel : Humanité augmentée, le monde nouveau / 9 juin 2013.
Attention, Hal 9 000 est de retour. L’ordinateur surpuissant de Discovery One, le vaisseau de 2001, l’Odyssée de l’Espace, icône de la rébellion des machines contre le genre humain, apparaît comme le fil rouge de l’Humanité augmentée. «Appréhender les multiples enjeux induits par un retour de Hal au sein de notre réalité qui, a défaut de conduire à une révolte, amène à redessiner la nature de nos rapports aux autres, aux choses, autant qu’à notre propre identité désormais redoublée "d’effigies artificielles"», annonce Eric Sadin. L’auteur livre ici une troisième exploration élégante et pointue des mutations de notre temps après Surveillance globale et La Société de l'anticipation.
A la différence de Hal, intelligence artificielle complémentaire, nous vivons de plus en plus dans une administration robotisée des existences, assurée par des agents impalpables. Ainsi, le smartphone «atteste du retour en force mais comme sur une "patte-d’oie" de Hal, par effet de dissémination à même les corps, mettant à disposition sa puissance cognitive "surhumaine" à l’attention de tous.»
Depuis Hal, le monde s’est mathématisé, informatisé et numérisé à une vitesse exponentielle. Le Walkman, lancé en 1979, a inauguré le double phénomène postmoderne de la mobilité et de l’individualisation. «La réalité augmentée confirme sensiblement notre condition hybride, entremêlant de façon toujours plus resserrée les corps et la puissance déductive des processeurs […].»
Mais ce qui advient semble plus puissant que Hal. Ne faut-il pas se poser la question de la souveraineté de la technique, moins comme une pression verticale que, comme l’écrivait Michel Foucault, «une situation stratégique dans une société donnée». Pas une force asservissante, mais une entité multiforme, qui a accompagné «subrepticement le cours de nos quotidiens, contribuant à repousser en partie l’exercice au présent de notre faculté de jugement». Sadin ne voit pas la transplantation de prothèses artificielles comme la preuve de l’entrecroisement à l’œuvre entre humanité et technique. C’est à la fois la puissance des agents numériques à notre service et notre condition amplifiée par un surcroît de pouvoir qui se joue dans l’humanité augmentée. Il s’agit de se servir de la doublure, tout en gardant ses distances critiques. Rappelons-nous Hal.