TEXTE REVUE PATCH CECN MONS

2010

UNE "RECHERCHE TRIDIMENSIONNELLE"

[Texte issu d’une commande du CECN de Mons pour la revue Patch, qui me proposait une "carte blanche" au cours de laquelle je reviens sur ma pratique théâtrale passée, sur les raisons d’une longue suspension ainsi que sur celles de mon désir d’y revenir – tout autrement. Publié en Janvier 2011]

Au moment où je décide après une longue période d’interruption de renouer avec ma pratique théâtrale, Patch et l’équipe du CECN me proposent une "carte blanche" que je saisis bien volontiers, en vu de revenir ici sur mon parcours et le mettre en perspective d’une recherche présente – théorique, littéraire, scénographique – entrelacée et délibérément exploratrice de certaines dimensions contemporaines.

J’avais été nommé au début des années 90’ à l’âge de 22 ans à la direction du Nouveau Théâtre de Châteauroux, devenant ainsi le plus jeune directeur de France. J’assumais à la fois la réalisation de mes mises en scène (dont Richard II au Théâtre de l’Athénée), l’animation d’une équipe et la programmation artistique, fidélisant un nombre croissant d’abonnés saisons après saisons, au point que la Municipalité décida la construction d’une nouvelle salle de 1000 places, devenue par la suite "Scène Nationale". La direction m’avait été proposée ; après une période de réflexion, je jugeais que tant de densité d’activités – tout en étant encore si jeune – me nuisait à terme et étouffait le temps nécessaire à la réflexion et à la recherche, indissociables d’une création exigeante.
Plus largement, je ressentais au fur et à mesure de ma propre évolution, une lassitude croissante à l’égard du milieu théâtral, dont je percevais de plus en plus son académisme profondément ancré et quasi-généralisé, son ignorance patente des avant-gardes scénographiques historiques, autant qu’une forme de méconnaissance ou d’indifférence à l’égard des autres champs (art contemporain, musique, architecture et même de la danse, que je percevais à cette époque-là comme relevant d’une pratique de la scène autrement plus ouverte à la recherche et à la libre expérimentation). Certes, j’aurais pu "de l’intérieur" tenter de développer un laboratoire de création tendu vers des modalités compositionnelles inédites, mais l’environnement local et national ne s’y prêtait probablement pas encore entièrement ; j’éprouvais surtout le besoin impérieux de "faire une pause", et d’entreprendre une enquête historique et théorique me permettant de réfléchir patiemment aux conditions possibles d’une écriture littéraire et scénographique contemporaines à l’écart de tout impératif immédiat de production. Après cinq années d’exercice, je quittais la direction et m’engageais dans la rédaction d’une Thèse de Philosophie portant sur les rapports et les évolutions historiques entre écritures et techniques, ainsi que dans celle d’un ouvrage poétique.

Trois ans plus tard fort de cette fructueuse suspension, je me présente avec succès à la direction du Théâtre de Roanne où j’engage un projet résolument pluridisciplinaire, articulant arts de la scène, expositions d’art contemporain, lectures de poésie, cycle de conférences…, privilégiant en parallèle mes travaux d’écriture. Je me souviens – alors que j’avais quasiment abandonné les salles de théâtre durant cette parenthèse (excepté pour assister régulièrement à des pièces chorégraphiques) – avoir été frappé de retrouver avec tant de prégnance, cette empreinte traditionnelle et poussiéreuse dans la plupart des spectacles que j’allais voir ici ou là en vue d’établir la programmation.
 Dimension à laquelle j’étais encore confrontée sous une autre forme, au cours des réunions régulières regroupant les directeurs de structures d’une même zone régionale (en l’occurrence ici Rhône-Alpes / Auvergne / Bourgogne), destinées à s’informer mutuellement relativement aux productions vues par les uns et les autres. Je retrouvais assez incrédule, les sempiternels jugements relevant du subjectivisme le plus naïf sous des "j’ai aimé, moi je n’ai pas aimé", l’absence d’argumentation construite d’après des critères esthétiques informés, presque toujours ponctués par les qualificatifs "joli", "émouvant", ou "plein d’énergie"… Les responsables se contentant généralement de "raconter les histoires", omettant  l’évaluation formelle des projets, celle de leur disposition ou non à se défaire de certains codes et à expérimenter des agencements singuliers, ignorant in fine le fait capital que les arts de la scène – comme l’ensemble des pratiques artistiques –, s’inscrivent au sein d’une historicité en mouvement, qu’il convient de prolonger au présent autrement sous des modalités renouvelées, entièrement ouvertes à l’abandon de certains usages et à l’introduction de paramètres inédits.

Las de toutes ces pesanteurs généralisées, je décide une fois encore (!) après trois ans d’exercice de quitter la direction du théâtre de Roanne, de m’impliquer davantage dans mes travaux d’écriture et de fonder une revue éc/artS, visant à explorer la nature et les effets des relations passées, présentes et à venir, entre pratiques artistiques et technologies en évolution continue. Cette entreprise me conduisit à visiter de nombreux centres d’art, théâtres, lieux de recherche dans le monde (invitations fréquentes à me rendre au MIT de Boston par exemple), et à constituer un réseau actif d’artistes et de chercheurs, aussi bien à échelle française qu’internationale, dont nombre d’entre eux intervinrent par la suite par des contributions écrites.
Chaque numéro fut notamment l’occasion d’évaluer ce qui se jouait à l’intérieur des champs artistiques, à la charnière mouvementée de la fin des années 90’ et du début 2000, bouleversée par le fait de l’extension du numérique, de l’universalisation de l’interconnexion, des nouvelles modalités de captation/diffusion des images et des sons… Cette recherche pluridisciplinaire qui mêlait mise en perspective historique et focalisation contemporaine, invitait des plasticiens, architectes, chorégraphes, compositeurs, metteurs en scène, également des ingénieurs, des spécialistes en sciences cognitives, en relations hommes-machines…, à exposer l’enjeu de leurs travaux sous la forme d’analyses réflexives et de documents iconiques. L’aventure dura trois années et produisit plus d’un millier de pages. Dix ans après la première parution, je remarque que nombreuses sont les personnes qu’éc/artS aura inspiré, (tant d’un point de vue théorique qu’artistique) ; aujourd’hui il m’arrive de croiser des personnes qui m’en parlent encore, comme d’un organe qui aura su saisir l’importance décisive des liens en mouvement entre arts et techniques.
Au cours du premier numéro j’écrivis un texte sur la situation essoufflée du théâtre, et soulignais prioritairement des pistes de recherche que cette période historique marquée par de brusques mutations technologiques et comportementales était susceptible d’ouvrir. J’insistais sur la persistance de structures à mes yeux obsolètes qui continuaient de déterminer dans une sorte d’évidence partagée les pratiques, telles que la projection psychologique de l’acteur, l’impératif quasi-obligé de la narration, la linéarité temporelle : début/milieu/fin, le décor presque toujours conçu en tant que lieu représenté d’une action, le costume comme indicatif d’une identité, les lumières accompagnant ou dramatisant l’action… L’ensemble des paramètres étant généralement envisagé comme naturellement associé en vue d’une fin (la représentation et son récit), au détriment de la prise en compte de leur spécificité individuelle, ou de l’abandon provisoire ou définitif de certains d’entre eux, de la possibilité d’en convoquer d’autres jusque-là inédits, et de les articuler en vue de marquer l’intensité différentielle des diverses forces en jeu, faisant de la mise en scène un art de la composition complexe autant qu’ouvert aux nouvelles virtualités offertes par les techniques contemporaines.

A la suite de cet article, j’entamais une large recherche relative à la puissance des mutations qui affectaient et continuent d’affecter nos rapports à l’écrit, en vue de décrire et d’analyser un environnement culturel et anthropologique considérablement modifié, et d’en tirer certaines conclusions à l’égard de ma propre pratique poétique (en quelque sorte à l’instar des architectes Robert Venturi & Denise Scott Brown analysant le territoire de Las Vegas au début des années 70’, dans l’intention d’en saisir les "enseignements positifs"). J’écrivis plusieurs textes théoriques publiés dans éc/artS ou d’autres revues européennes et asiatiques, explorant la nature et la portée de ces bouleversements. C’est dans cette dynamique que j’organisais un colloque en 2001, au Musée d’art contemporain de Montréal, dans le cadre de La Saison de la France au Québec, intitulé "Textualités & nouvelles technologies", regroupant une trentaine d’intervenants français et nord-américains, et dont les actes furent publiés en 2002 dans un numéro spécial de le revue.
Quelques mois plus tard, ma candidature à la Villa Kujoyama (Kyoto, Japon) est retenue où j’entreprends une résidence d’écriture et de recherche sur "l’inflation des signes dans l’espace urbain japonais", que je tenais pour un laboratoire d’observation privilégié des mutations contemporaines de l’écrit, marquées par l’hétérogénéité et la densité. Enquête qui se déploya dans un second temps sur plusieurs territoires asiatiques, américains, européens, et qui conduisit à la publication d’un recueil de textes théoriques Poésie_atomique (éc/artS_essais, 2004), d’un livre de poésie Tokyo, (P.O.L, 2005), et de Times of the signS (opus de 450 pages comprenant textes + 2000 photos + un DVD ; Birkhäuser, 2007), rédigé en anglais et diffusé à l’international (ce qui supposa par la suite quantité d’invitations à donner des conférences, aux Etats-Unis, Japon, Corée, Chine…).

C’est à cette occasion que j’instaurais pour la première fois une "recherche bidimensionnelle", considérant les activités théorique et poétique comme bien spécifiques mais indissociables par la capacité de la première à informer profondément la seconde, à autoriser une connaissance étendue relativement à un champ de recherche déterminé, capable de se ramifier suivant deux branches distinctes mais à la généalogie commune. Dimension qui fut encore prolongée par l’élaboration d’un site Internet AfterTokyo qui remporta le Prix Pompidou Flash Festival en 2004, consistant à procéder à une "extension numérique" de l’objet-livre, suivant des  spécificités formelles propres à la perception via l’écran et à ce logiciel à la forte potentialité interactive. Projet que je présentais également en version performance dans de nombreux pays, inscrivant ainsi une même recherche à l’intérieur de modalités différenciées, explorant et exemplifiant ainsi la pluralité des supports informationnels contemporains.
Au cours de cette longue entreprise, je me rends compte à quel point cette société de l’information, au rythme d’accélération quasi-exponentiel, recouvre comme une "face cachée", marquée par la récolte massive et sophistiquée des traces numériques disséminées par chacun, et analysées à des fins sécuritaires ou marketing. Je décide alors de m’engager dans une large recherche "tridimensionnelle" portant sur la surveillance contemporaine, qui aboutira à : 1/ un essai théorique ; 2/ un livre de poésie ; un dispositif théâtral, et qui fondera au présent et à l’avenir la structure d’une pratique déployée parallèlement ou corrélativement dans les champs théorique, littéraire, théâtral, à partir d’un même horizon exploratoire initial.

J’initie d’abord une enquête visant à saisir les modalités de la récolte ininterrompue des données et la pénétration des comportements qu’elles induisent. Il apparaît un nouveau type de rapport à entretenir avec les technologies numériques qui nous environnent, non plus marqué par les seules dimensions pratiques, enthousiastes, et potentiellement créatrices, mais comme empreint d’une "part maudite", celle qui rend possible le profil détaillé et précis de nos identités, de nos actes et de nos relations. À coup sûr, cet effet de conscience qui m’apparaît avec tant d’évidence, correspond-il à une autre époque – celle de la présente décennie –, qui requiert autant esprit d’ouverture que lucidité à l’égard de nos "prothèses miraculeuses", susceptibles d’exposer notre intimité à l’égard de quiconque ou d’instances tierces. Ces analyses et réflexions conduisirent à la publication de mon essai Surveillance Globale – Enquête sur les nouvelles formes de contrôle (Climats/Flammarion, 2009), qui rencontra un bel accueil public et critique, probablement parce qu’il répondait en partie à une angoisse sourde ou formulée de notre temps.
Parallèlement, j’écrivis un opus de poésie intitulé Globale Paranoïa (Éd. Les Petits Matins, 2009), consistant en une réappropriation ludique de ces enjeux par l’élaboration de séquences jouant de la spécificité comme de la superposition des différents protocoles en usage, en une confrontation singulière entre technologies de surveillance et techniques d’écriture. De cette double recherche, j’y ai alors vu une formidable occasion de revenir enfin à ma pratique théâtrale (désir qui s’amplifiait chaque année davantage et que je retenais encore), sous la forme d’un projet informé/inspiré par ces deux livres, susceptible de nous conduire à l’élaboration d’un dispositif scénographique de part en part inédit, et à la résonance résolument contemporaine. Je propose à l’équipe d’architectes de Lausanne Fabric | ch d’entamer une collaboration, en vue d’imaginer une machine scénique notamment destinée à collecter le plus largement et le plus profondément des données auprès du public.

Globale Surveillance : de la représentation à la quantification, un prototype théâtral contemporain.

Globale Surveillance consiste à explorer et à rendre perceptibles les multiples formes de la surveillance contemporaine. Le dispositif se fonde sur une double base : 1/ De larges extraits du livre de poésie/théâtre Globale Parnaoïa + certains issus de l’essai théorique Surveillance Globale, "pris en charge" par deux comédiens ; 2/ Collectes de données saisies dans la salle (et dans son environnement immédiat) ainsi qu’auprès des corps présents dans l’assistance. Ces deux strates sont successivement entrelacées l’une à l’autre. Le projet consiste en un laboratoire d’exemplification des protocoles de traçabilité contemporains, suivant des mécanismes désormais universellement à l’œuvre et qui règlent la forme panoptique propre au XXIe siècle, non plus fondée sur la représentation des individus, mais sur la quantification des comportements (ce point constitue l’un des principes majeurs de la mise en scène : une dramaturgie construite en partie "en temps réel", à partir des données captées auprès des spectateurs, ainsi que dans l’environnement plus ou moins proche des lieux de présentation).
Le dispositif dresse une zone spatiale hypersurveillée, à l’intérieur de laquelle les "spectateurs" ou "participants" seront soumis à quantité de procédures de traçabilité rendues visibles, a contrario de nombreux mécanismes quotidiennement à l’œuvre et marqués par le phénomène angoissant de l’invisibilité. La "time line" ne suit pas une trame dramaturgique linéaire mais se distribue comme le traitement d’une base de données dynamique, décidant de son évolution en vu de défaire l’unité du temps théâtral au profit de l’expérience plus ou moins aléatoire d’événements singuliers, exemplifiant des procédés largement répendus au sein de notre environnement contemporain. L’objectif consiste à exposer l’importance des bases de données qui infléchissent consciemment ou non nos comportements quotidiens. Le dispositif cherche encore à déjouer les structures théâtrales usuelles généralement fondées sur l’incarnation psychologique, ici défaite par la présence de comédiens uniquement chargés d’éprouver des séquences de vie anonymes imprimées par des procédures de surveilance, repoussant en partie le principe d’une libre subjectivité.

Notre entreprise envisage l’exploration du champ de la surveillance, à la fois comme un prisme d’observation privilégié de nos sociétés contemporaines, et comme un champ de recherche artistique décisif qui encourage des processus de subjectivation et de réappropriation, par la mise en exposition de mécanismes désormais universellement à l’œuvre. La forme panoptique propre au XXIe siècle se constitue sur l’évaluation à flux tendus des comportements, qui seront en l’occurrence analysés, traités, cartographiés au sein de notre dispositif : laboratoire d’exemplification des pratiques de surveillance contemporaines – condensées et expérimentées sur la scène, dans le cadre d’une dramaturgie à la fois pré-programmée et ré-expérimentée de façon toujours dynamique, en fonction des caractéristqiues propres à chaque lieu et à chaque audience.
Une inscription "en amont" sur un site Internet dédié, récoltera certaines données auprès du public à venir, qui auront ensuite été traitées et finalement exposées durant la performance : informations relatives à la composition de la salle, tranches d’âge, sexes, professions, intérêts… Des mails sont envoyés au préalable suivant les différents "profils", également à la suite de l’événement (contribuant en partie à défaire la dimension "d’unité de temps et de lieu" propre au régime théâtral historique). Quelques caméras situées dans les zones extérieures de chaque lieu filment l’arrivée successive des spectateurs, diffusant les images visibles sur des moniteurs dans les halls d’entrée à l’attention de ceux déjà arrivés, témoignant ainsi du suivi dissimulé des corps autant que de leur probable captation antérieure, non consciente et néanmoins rendue publique. Ce prologue signale en quelque sorte un des enjeux de l’entreprise : celui de rendre sensible dans le cadre d’une expérience artistique partagée, des processus à l’œuvre et plus ou moins visibles dans la quotidienneté.
Les numéros de téléphones portables des "spectateurs" auront également été enregistrés : des SMS sont transmis en live (propositions et informations d’ordre commercial, renseignements à l’égard de personnes présentes, indices supposés de dangerosité…). Les données préalablement recueillies permettront de dévoiler en public et aux "yeux de tous", certaines préférences "intimes", dont les mécanismes d’élaboration précis des profils – notamment à l’œuvre dans le marketing contemporain – seront ici rendus visibles.
Les deux comédiens (présents ou parfois dérobés), jouent avec des extraits des ouvrages poétique & théorique, qui font l’objet à d’autres moments d’une diffusion en voix de synthèse ou encore d’une projection muette. Autant de processus appelés à témoigner de la diversité des modalités de surveillance, de leur présence parfois incertaine ou de leur totale invisibilité. Le dispositif se déploie comme une large machine "sensible" et hybride, située entre la représentation de séquences de vie enveloppées par des procédures de surveillance, la perception auditive ou visuelle de paroles et textes théoriques, et l’expérience éprouvée par les spectateurs de certaines procédures de traçablité qui infiltrent notre environnement contemporain, et qui sont ici (le temps d’une heure quinze minutes) condensées et exemplifiés.

Globale Surveillance
relève exactement d’une dimension prototypale, délibérément décidée à se confronter à un des enjeux majeurs de notre temps : la pénétration dans l’espace et les corps, de techniques sophistiquées, visant à suivre en continu les gestes, les déplacements et les relations, à des fins sécuritaires ou marketing. L’entreprise suppose de facto de se défaire de nombreuses structures théâtrales historiques, et de convoquer dans le même temps plusieurs technologies appelées pour une première fois à pénétrer l’espace scénique contemporain.
Le projet a été présenté dans le cadre du colloque Globale Paranoïa – Formes & puissance de la surveillance contemporaine, que j’avais organisé au Palais de Tokyo en 2008, il a bénéficié d’une résidence de recherche à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, Centre national des écritures du spectacle, du soutien du DICRéAM (Centre National de la Cinématographie) au titre de l’aide à la maquette, ainsi que du soutien de la Fondation Pro Helvetia pour la conception et le développement de l’architecture scénique. Il sera présenté dans divers lieux en Europe et en Asie au cours de la saison 2011-2012 et de la suivante.


Le corps contemporain

A l’avenir cette recherche "tridimensionnelle" portera sur les nouvelles corporalités contemporaines en mutations, marquées par l’universalisation annoncée de puces électroniques à l’intérieur des tissus biologiques, les rapports toujours plus fondus aux technologies et à l’information, la généralisation du tout tactile, les offres de réalités augmentées, les nouveaux principes de socialisation, le port de vêtements "intelligents", la médecine génétique hyper-individualisée... Elle sera constituée d’un essai théorique, d’un livre de poésie (aux structures formelles évidemment en écho avec les enjeux explorés). Le "troisième étage" de cette "fusée" sera composé d’un dispositif théâtral qui cherchera à mettre en jeu l’émergence de nouveaux comportements individuels et collectifs, suivant des modalités capables de rendre sensibles certaines évolutions qui transforment nos apparences, nos identités et nos relations. Autant de dimensions actuellement en gestation, appelées à faire l’objet d’hypothèses scénographiques et perceptives inédites.

Ces lignes visaient d’abord à faire retour sur une évolution personnelle, initialement ancrée dans un certain savoir faire théâtral, et qui a cherché patiemment à se défaire de nombreux réflexes entendus, au profit d’une recherche multipolaire, désormais construite sur une structure tripartite à circulation théorique/poétique/scénique dynamique. Démarche d’ensemble qui fait écho à la formule de John Dewey (1859-1952), affirmant que pour explorer la nature d’une époque présente et pouvoir se la représenter consciemment, l’enquête correspond à la forme la plus adéquate ; l’art pouvant offrir l’occasion d’en rendre compte autrement sous des contours sensibles. Proposition qui semble exactement correspondre au projet que j’instaure actuellement, dont une des strates majeures consiste à mettre en place un théâtre résolument contemporain et à vocation librement prototypale.