Politis "L'Humanité Augmentée" : Un livre érudit et radicalement critique
Politis / Lectures d’été, par Christine Tréguier
Pour finir la saison, une sélection de quelques livres parus depuis le début de l’année, à déguster à l’ombre ou au soleil. Tous font, à leur manière, le point sur des problématiques déterminantes pour la société de demain (...)
Avec l’Humanité Augmentée, l’administration numérique du monde, livre érudit et radicalement critique, Éric Sadin décode le devenir et les conséquences de la «révolution numérique ». Il s’inquiète de ce que la technique passe progressivement du statut de prothèse, permettant de combler les insuffisances humaines, à celui de régisseur des êtres et des choses. Pour lui, la numérisation du monde et la collecte, le traitement permanent, des données par des algorithmes puissants «autorisent les processeurs à évaluer en temps réel un nombre extrêmement étendu de paramètres, à établir des cartographies précises de situations en cours, à suggérer des solutions à des entités humaines ou à prendre d’eux-mêmes des décisions en fonction de critères déterminés autant que de facteurs aléatoires ». Ce qu’il appelle une « puissance interprétative et réactive », prête à se substituer au libre arbitre des individus.
C’est typiquement le modèle mis en place par Google ou Amazon qui analysent leurs utilisateurs pour leur offrir suggestions de recherche et recommandations d’achat.
C’est ce que font les traders avec leurs outils de trading haute fréquence. Ce sont les apps qui géolocalisent et pilotent les déplacements dans la ville. Ou encore les programmes de réalité augmentée, que Sadin préfère qualifier de « réalité orientée », qui incrustent leurs données et leurs injonctions dans l’environnement visuel.
Ce sera demain l’informatique affective, « ambitionnant d’affecter à des flux numériques autant la capacité de reconnaître que d’exprimer eux-mêmes des émotions ». Sadin y voit l’émergence de ce qu’il appelle « une anthrobologie, une nouvelle condition humaine toujours plus secondée ou redoublée par des robots intelligents ».
Christine Tréguier.